À la recherche d’une troisième solution

Une guerre sans fin? Les événements en Syrie

13/08/2013   Temps de lecture: 9 min

Engagé en 2012, le soulèvement pour la libération de la Syrie s’est transformé en une guerre sanglante entre le gouvernement et des forces d’opposition hétérogènes, guerre dont l’issue est incertaine. Pendant toute l’année, cette situation a été très préoccupante pour medico. Compte tenu de la situation contradictoire de la Syrie et de l’impasse dans laquelle elle se trouve, quel sens donner à la solidarité?

En décembre 2012, pour de nombreux observateurs, les espoirs nés du soulèvement syrien l’année précédente ont fait place à un sentiment d’impuissance. En Syrie, il n’y a pas eu de place Tahrir, pas de foule exprimant la volonté de forcer les gouvernants à abdiquer. Au contraire, le régime a riposté, surtout dans les banlieues rebelles. Chaque manifestation se transformant en funérailles qui, elles-mêmes, donnaient lieu à des manifestations, les premières milices urbaines essentiellement composées de déserteurs se sont constituées. Plus tard, elles ont formé ce qu’on appelle « l’armée syrienne libre », qui est plus une alliance de groupes armés non structurés qu’une véritable armée. Des attentats à la bombe ont secoué Damas alors que les banlieues étaient victimes d’attaques aériennes. Le public a eu connaissance de rapports faisant état de massacres. Par ailleurs, on a constaté une évolution vers une scission menée par des groupes radicaux selon des clivages religieux et l’ouverture d’un nouveau front par des jihadistes étrangers. En fin de compte, il y a eu la souffrance croissante de la population civile, les interventions réelles ou les menaces d’intervention de l’étranger. Le conflit s’est enlisé dans une situation incitant à détourner le regard avec fatalisme, voire à accepter le retour de la « guerre des cultures ».

Les choses en étant là, le 10 décembre – Journée des droits de l’homme – medico s’est associé à l’initiative de la société civile « Adoptez une révolution » pour publier un appel à la solidarité avec le mouvement démocratique syrien , appel initialement signé par 60 personnalités issues des milieux politiques, universitaires, artistiques et culturels. « En Syrie, la société est menacée de destruction par une tyrannie de la violence cherchant à retarder son renversement aussi longtemps que possible en ayant recours à une force militaire qui ne peut triompher. Toutefois, une partie de la tragédie syrienne tient à ce que, depuis longtemps, le destin du pays échappe à ses seuls citoyens. Chaque pas franchi dans la course à l’armement dans les pays voisins présente le risque d’une régionalisation de la guerre. Toute autre forme d’intervention militaire ouverte poussera les forces politiques au bord du gouffre et entraînera un accroissement de la division de l’opposition en Syrie. Toutefois, le fait de simplement rester à observer la situation pourrait avoir des résultats tout aussi dévastateurs ». Face aux contradictions affligeantes du conflit syrien, medico a demandé l’adhésion à une troisième solution qui s’appuierait sur une meilleure compréhension du contexte du soulèvement, sur la volonté de suivre l’évolution de la dynamique et sur la mise en perspective des motifs des forces qui s’accrochent malgré tout à une perspective civile.

Le caractère social de la révolution

Le soulèvement syrien contre le président Bashar al-Assad s’est produit dans une société dans laquelle les richesses étaient plus inégalement réparties que jamais. 50 % des richesses du pays étaient dans les mains de seulement 5 % de la population. 20 % des Syriens vivaient sous le seuil de pauvreté et 30 % (cette proportion atteignant 58 % chez les moins de 24 ans) étaient au chômage. Toute une génération de jeunes était privée de perspectives d’emploi. Ce lourd bilan est le résultat de la déréglementation de l’économie nationale décidée par Assad après son arrivée au pouvoir en 2001. Les zones rurales ont été négligées, le secteur public et les services d’utilité publique ont été démantelés et le secteur privé nouvellement créé était contrôlé par une élite de rapaces de la Nouvelle économie. Dans cette situation, le parti Baas, qui avait pris le pouvoir en 1963 sans jamais le céder, a également mis en œuvre une vaste réforme agraire. Les grands propriétaires terriens ont été expropriés et les métayers, les agriculteurs sans terres et les ouvriers agricoles ont pu acheter les terres à bas prix. En conséquence, et c’est un des paradoxes de la révolution syrienne, le régime se trouve confronté à des opposants dont les plus acharnés se trouvent parmi les descendants des agriculteurs qui avaient été libérés de conditions proches de l’esclavage 50 ans plus tôt et auxquels on avait promis un développement moderne. Ce n’est donc pas par hasard que le mouvement de protestation a commencé en 2011 dans la périphérie, ou – plus exactement – dans les ceintures grises d’agglomérations entourant les grandes villes que sont Darah, Hama, Homs et (plus particulièrement) Damas. C’est dans ces banlieues que des centaines de milliers d’anciens exploitants agricoles se sont installés. S’il est vrai de dire que la guerre civile menace de superposer des divisions religieuses au caractère social de la révolution, on aurait tort d’oublier que le soulèvement est également un mouvement des pauvres contre les privilégiés. Récemment, un commerçant d’Alep faisait remarquer à la BBC qu’il n’est pas possible d’ignorer l’aspect « lutte des classes » du soulèvement syrien ; « Pour les rebelles, il existe une corrélation totale entre le régime et les riches. Si vous avez de l’argent, vous faites partie de l’élite au pouvoir. »

Pendant des décennies, la société syrienne a vécu dans un état d’urgence permanent imposé par un système politique séculier, une république de la peur dans laquelle le consentement des gouvernés ne pouvait être garanti que par l’omniprésence d’un appareil de surveillance. La deuxième vérité criante de la tragédie syrienne, c’est qu’un pays s’appuyant sur une constitution résolument non sectaire a entamé un processus d’autodestruction dans un conflit chargé de connotations religieuses, ce que, précisément, la constitution voulait éviter. En Syrie, nous constatons que la lutte idéologique d’un mouvement nationaliste progressiste arabe contre le projet politique et religieux des Frères musulmans semble perdue. Les places de Syrie ayant été bouclées et contrôlées par la police secrète et l’armée dès le début des protestations, toutes les manifestations pacifiques ayant essuyé des tirs d’armes à feu et les manifestants blessés étant arrachés des hôpitaux par la police secrète, la population s’est créé un nouvel espace ouvert dans les mosquées (et certaines églises) où les musulmans, notamment, se réunissaient avant les prières du vendredi, rejoints par des chrétiens et des alaouites, pour protester contre la dictature en vigueur. Quand à Homs, Hama ou Idlib de jeunes rebelles syriens crient « Nous ne nous agenouillons devant personne d’autre que Dieu », cette déclaration de foi agressive n’est pas seulement un rejet démonstratif de l’ancien régime séculier et du culte familial quasi-religieux dont le président fait l’objet, c’est aussi un signe du soutien direct que la religion accorde à un soulèvement populaire auquel elle donne la force de s’opposer à un système répressif. Compte tenu de ce qui précède, n’est-il pas pour le moins logique de constater que dans une situation dans laquelle tout est au service du despotisme, il y ait un retour aux traditions et aux institutions religieuses, et avec elles aux tendances régressives et exclusives?

Approches autres que la militarisation

Dès le début, medico a pris le parti des manifestants et a tenté de créer des partenariats avec les militants courageux participant à des démonstrations pour la liberté, la démocratie et la dignité humaine. Nous nous sommes délibérément engagés dans une recherche pratique pour voir comment intégrer notre soutien aux droits civils fondamentaux et à l’idée d’égalité sociale aux événements de Syrie. L’idée universelle d’éducation publique veut également qu’on prenne le parti des soulèvements démocratiques, même lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes portés par un consensus laïc ou de gauche classique. Les gens ne demandent pas seulement un avenir meilleur dans lequel bien vivre, ils se rebellent également contre le produit monstrueux d’une philosophie moderne et autoritaire de développement. Cela vaut pour la Tunisie, l’Égypte et le Yémen et, tout particulièrement, pour la Syrie. Alors que ces dernières années le monde arabe est résolument entré dans le 21ème siècle, les indices pointent encore vers une restauration et une éventuelle guerre régionale. Les monarchies féodales des États du Golfe, notamment, essaient d’exploiter l’opposition syrienne au régime « impie » de Damas, alors que medico reste du côté de ceux qui luttent pour une Syrie libre et socialement juste. Le soulèvement démocratique de toute une génération de jeunes risque d’être étouffé. Notre appui va à tous les activistes soutenant les initiatives locales et les structures d’aide médicale qui continuent de lutter, sans armes, pour l’instauration d’une société démocratique en Syrie. Malgré l’escalade de la guerre civile, ils défendent toujours une troisième solution qui s’écarte de la simple reddition au régime et à la terreur sectaire croissante, tout comme elle s’écarte de la militarisation interne et externe. Même si nos choix sont limités, nous nous efforçons toujours d’agir de manière responsable. Peut-on espérer réussir ? Samuel Beckett a déjà répondu à cette question dans « Cap au pire » : « Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. »

En 2012, medico a dépensé un total de 153 484 euros en Syrie et pour les réfugiés syriens au Liban (y compris le soutien accordé par le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères et le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement - BMZ)


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