Au cours des quatorze dernières années, l'Union Européenne et ses états membres ont déployé des efoorts considérables pour renforcer la fortification des frontières extérieures de l'Union. Cette fortification n'inclut pas seulement l'amélioration de l'équipement technique et la sécurisation des zones frontalières par Frontex et Eurosur, mais également une externalisation des mesures de sécurisation aux pays riverains, pays de transit et pays d'origine. Cette intégration de pays tiers dans la gestion européenne des migrations européenne a conduit à ce que les relations avec ces pays aient été complétées d'un élément important. Dans certains cas, le thème de la lutte contre la migration a même dominé, du moins temporairement, les relations.
Les valeurs humanistes que revendique l'Europe commune sont rapidement réduites à l'état de maculature en présence des réfugiés et des migrants se trouvant aux frontières extérieures européennes. Bien que les droits de l'homme en Europe soient à la fois inaliénables et universels, ils sont systématiquement violés et souvent refusés, notamment aux personnes en quête de protection aux frontières de ces pays qui appartiennent à l'Union européenne ou qui sont étroitement liés à elle.
Ce n'est pas seulement depuis la mort tragique de 360 personnes au large de la côte de Lampedusa le 3 octobre 2013 que la frontière extérieure de l'Europe donne l'effet d'une barrière de séparation cruelle : depuis 1988, plus de 19 000 personnes ont péri aux frontières extérieures de l'Europe, dont 14 500 dans l'Atlantique, la mer Méditerranée et dans les eaux côtières de l'île française de Mayotte dans l'océan Indien. En outre, sur leur chemin vers l'Europe, d'innombrables personnes meurent de soif dans les déserts en amont, se noient dans les fleuves ou sont victimes de réseaux criminels et corrompus.
Les gouvernements de l'espace de droit européen refusent l'admission des personnes en quête de protection et renvoient ces malheureux dans leurs pays. Les réfugiés sont criminalisés et incarcérés, l'accès au marché du travail et aux soins de santé leur est refusé. Même les personnes voulant seulement passer un bref séjour en Europe sont souvent indésirables. Une application rigide de la politique en matière de visas rend surtout difficile l'arrivée dans nos pays de personnes issues de régions appauvries du monde. Tout ceci est un reflet dramatique de la politique européenne de migration et d´asile.
Cependant, le contrôle à l'échelle européenne des mouvements de fuite et migratoires ne commence pas seulement aux frontières extérieures de l'Europe, mais s'étend bien au-delà. Alors que d'un côté, l'Union européenne s'efforce de réguler et de commander la politique d'immigration et d'émigration dans les pays riverains, d'un autre côté, elle a défini une zone extraterritoriale d'isolation et de limitation de la fuite et de la migration au-delà de ses frontières. Les études réalisées à titre d'exemple, et documentées dans ces pages, au Sénégal, en Mauritanie, en Tunisie, en Turquie et en République de Moldavie montrent ce qui ce passe à l'ombre de la citadelle européenne. Elles illustrent précisément de la manière dont les prescriptions et les interventions extraterritoriales de la « prévention » des migrations ont jusqu'à ce jour fermé des espaces ouverts de transit et de séjour, dont les espaces destinés aux réfugiés et aux migrants se transforment en des endroits similaires à des prisons et dont les sociétés concernées perdent leur cohésion sociale et leurs potentiels de développement durable.
La migration est une partie intégrante du développement humain. La mobilité et la liberté de circulation sont des acquis universels qu'il importe de protéger à l'ère de la mondialisation. Dans la première moitié du XIVe siècle, près de 500 000 personnes ont quitté l'Allemagne pour l'Amérique, le « Nouveau Monde ». Bon nombre d'entre eux étaient en quête d'une meilleure vie sans pauvreté ni privations, mais ont également fui leur pays en raison du manque de liberté religieuse et politique ou suite à la révolution de 1848 avortée en Allemagne. Nous ne devons pas oublier cette expérience historique lorsque nous considérons aujourd'hui ces personnes vulnérables ayant fui à travers de la mer pour se rendre chez nous. La quête d'une vie en sécurité se fait le plus souvent suite à une expérience de violence, de refus de libre arbitre ou des privations.