Guatemala

La reconnaissance de leur souffrance

Interview avec l'avocat des droits de l'homme Michael Mörth

19/08/2014   Temps de lecture: 6 min

Le 10 mai 2013, l'ancien dictateur du Guatemala, Ríos Montt, a été condamné pour le génocide commis sur le peuple indigène Ixil et pour des crimes de guerre. Dix jours plus tard, le jugement a été suspendu pour de prétendus vices de forme. Où en est aujourd’hui la longue lutte engagée au Guatemala contre l'impunité?

Votre action politique et juridique en faveur des droits de l'homme s’est soldée par des victoires presque incroyables ces dernières années. Comment cela a-t-il été possible ?

En effet, le mur de l'impunité s'est considérablement fissuré ces dernières années. Un élément décisif a certainement été le courage et la persévérance de mes collègues, des victimes et des témoins. Ce qui différencie la situation du Guatemala de celle d'autres pays dans lesquels des crimes comparables ont été perpétrés est le fait qu'en 2005, nous avons réussi par d'heureuses circonstances à entrer en possession des archives de la police. Ces archives comptaient 80 millions de documents, dont un grand nombre relatent des faits ayant eu lieu entre 1975 et 1985 qui sont les années où la violence avait atteint son paroxysme. Ces preuves nous ont énormément aidés. Un autre élément important est que la Cour interaméricaine des droits de l'homme a, à différentes reprises ces dernières années, décidé que ses décisions devaient être reconnues par les tribunaux nationaux et que la nouvelle direction du Parquet guatémaltèque a immédiatement décidé d'engager de nouvelles investigations. La Cour suprême du Guatemala a entériné ces décisions. C'est ainsi qu'entre 2011 et 2013, nous avons pu obtenir des jugements absolument stratégiques, notamment aussi contre des militaires de haut rang. L'apogée a été la condamnation de Rios Montt.

Cette condamnation a déclenché des réactions euphoriques dans le monde entier. Pour la première fois, un ancien chef d'État a été condamné dans son propre pays pour un génocide. Tu avais prévenu que les résistances à l'encontre de ce jugement seraient grandes et tu as eu raison. Quelle suite l'affaire Montt aura-t-elle selon toi ?

J'aimerais dire d'abord que nous continuons de partir du principe que Rios Montt est condamné. La décision de la Cour constitutionnelle de casser le jugement et d'ordonner la reprise du procès au point où il en était avant les audiences n'était pas seulement illégale mais frauduleuse. Cet acte est manifestement imputable à la pression exercée sur la justice par les milieux politiques et économiques. Aussi avons-nous attaqué cette cassation devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Au Guatemala, la date à laquelle le procès doit reprendre reste encore officiellement fixée au 15 janvier 2015. Il faudrait cependant un miracle pour que le procès puisse avoir lieu dans de bonnes conditions à cette date. Nous savons que les succès que nous avons remportés ont les pieds fragiles et qu'une mauvaise surprise peut nous attendre à tout moment. La conjoncture politique y est propice.

Comment décrirais-tu la conjoncture politique ?

Actuellement, nous avons au Guatemala une situation dans laquelle non seulement le président est un ancien militaire, mais où toute une série de postes clés du pouvoir exécutif sont occupés par des militaires et d'anciens généraux. Après la condamnation de Rios Montt, les élites dominantes, épaulées par le monde de l'entreprise et les militaires, ont fait clairement comprendre qu'elles ne toléreraient pas une justice qui échapperait à leur contrôle. Les juges qui, ces dernières années, avaient rendu leurs décisions en toute indépendance, sont maintenant soumis à des pressions de plus en plus grandes. Par exemple, le dernier fait en date est que la juge Yassmin Barríos qui avait condamné Rios Montt a, pour des motifs totalement absurdes, été suspendue de sa charge pendant un an par ce qu’ils ont appelé un tribunal d'honneur du conseil de l'ordre, qui d’ailleurs n’avait aucunement compétence pour rendre une telle décision puisque Yassmin Barríos est juge. Ils veulent que le système judiciaire guatémaltèque, qui avait commencé à se mouvoir dans la bonne direction, redevienne ce qu'il a toujours été : un bastion de l'impunité. Dans l'ensemble, les répressions exercées à l'encontre de la justice, des défenseurs des droits de l'homme et des représentants des peuples indigènes et de la population rurale ont fortement augmenté sous le gouvernement actuel. Et ce n'est pas tout : elles sont devenues plus brutales, plus étendues et plus systématiques.

Les Ixil luttent depuis des années pour que soient élucidés les crimes perpétrés contre leur peuple. Le partenaire de medico, Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial (ECAP), a, entre autres actions, pris en charge et accompagné plus de 100 témoins et participants, avant, pendant et après le procès contre Rios Montt. Que signifie l'annulation de ce jugement pour ces témoins ?

Je me suis rendu pour la dernière fois dans la région Ixil le 19 mars 2014, jour anniversaire du procès, pour y rencontrer des témoins et survivants du génocide. J'ai l'impression qu'ils se rendent parfaitement compte que l'on sort maintenant l'artillerie lourde et forge des alliances puissantes afin de stopper le procès et d'en rester à la cassation du jugement. Leur jugement. Ils ne sont cependant ni intimidés ni déprimés, mais se serrent les coudes dans cette situation difficile. Lors de la manifestation de la journée anniversaire, nombre d'entre eux serraient un gros livre entre les mains. Ce livre de 800 pages contient la publication du jugement. Il faut pour le croire avoir vu de ses propres yeux avec quelle ferveur ils serrent ce livre. Le livre renferme la vérité sur leur souffrance, il est la reconnaissance du long chemin parcouru. Le livre et le fait qu'un tribunal indépendant leur a donné raison les rend très forts.

Michael Mörth: L'avocat des droits de l'homme enquête depuis près de 20 ans sur les crimes commis lors de la guerre civile au Guatemala, notamment pour la Commission internationale des juristes au Guatemala et pour le partenaire de medico, Bufete Jurídico de Derechos Humanos, qui traite pratiquement 80 pour cent des affaires contre d'anciens militaires et représente également les victimes de la dictature constituée en partie civile dans le procès contre Ríos Montt.

medico soutient le Bufete Jurídico de Derechos Humanos (BJDH) et la Comisión Internacional de Juristas (CIJ) dans la lutte contre l'impunité au Guatemala. Depuis de nombreuses années, medico encourage en outre les activités psychologiques et sociales menées par Equipo de Estudios Comunitarios y Acción Psicosocial (ECAP) pour analyser les crimes du passé et aider des individus, groupes et communautés à faire face aux conséquences de la violence politique en restaurant les structures sociales. Le soutien apporté à ses partenaires en 2013 s'est élevé à 56 222 euros au total.


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