« Le coût des crises humanitaires est à la hausse. Il y a un besoin urgent d’aider les populations et les communautés à résister aux chocs et aux stress et à s’en remettre – autrement dit, de les aider à renforcer leur capacité de résilience. » Ces arguments avancés dans le « Plan d’action 2013- 2020 de l’UE pour la résilience dans les pays sujets aux crises » illustrent bien la tendance : la résilience occupe désormais une place centrale dans les stratégies humanitaires, nationales et internationales. Tous les acteurs importants, des Nations unies et de l’Union européenne aux organisations humanitaires et fondations privées en passant par le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Économique et du Développement ont, ces dernières années, élaboré des concepts allant dans ce sens et ont fait de la « résilience » le critère à l’aulne duquel ils mesurent leur aide. Quels sont les moteurs de cette évolution ? Et quelles conséquences a-t-elle ?
La naissance d’un concept
Au vu du nombre croissant de catastrophes, la prévention a elle aussi été professionnalisée dans le cadre des plans des Nations unies au cours de la dernière décennie. L’objectif consiste à identifier les risques à l’aide d’analyses systématiques, d’établir des systèmes d’alerte précoce et de prévention et de mieux gérer les effets des catastrophes. Or, un changement de paradigme s’est opéré suite à la répétition accélérée des catastrophes et à des prévisions de plus en plus exactes des risques : la prévoyance et la prévention qui visent à empêcher et à éviter les catastrophes ont été abandonnées au profit de la gestion des catastrophes et de l’adaptation aux situations produites par les catastrophes. Dans ce contexte, le concept de résilience est devenu hégémonial.
L’accent n’est plus mis sur les faiblesses et les besoins des populations et des communautés ; il porte dorénavant sur leurs forces et leur capacité à faire face aux catastrophes et aux crises. Ce changement de direction a une qualité émancipatrice en ceci qu’il attire l’attention sur l’endurance et le potentiel d’autonomie des populations et des communautés, en mettant l’accent sur les stratégies de survie, la capacité d’agir et l’autonomisation, ce que les ONG critiques exigeaient depuis longtemps. Mais, ironie du sort, c’est avec la généralisation de cette notion de résilience qu’on a « découvert » que les capacités locales des régions en crise sont des ressources permettant de gérer les crises et les risques. Si bien que l’accent n’est plus placé sur la nécessité de prévenir les crises. Dans la logique de la résilience, les inondations, les périodes de sécheresse, les guerres, les expulsions, l’exode, la pauvreté ne sont plus perçus comme des causes des crises qu’il faut surmonter. La lutte des populations pour survivre dans des conditions inhumaines a un nouveau nom, la « résilience ». Comprise ainsi, la crise est acceptée comme une situation normale et la résilience remplace le concept de durabilité : alors que ce dernier est censé rétablir un équilibre mondial, le discours sur la résilience porte sur la gestion d’un monde déséquilibré.
La dichotomie de la nouvelle approche de gestion des catastrophes se manifeste dans le nouveau « rôle » des individus, des communautés et des régions en crise ayant besoin d’aide. Ce sont essentiellement eux qui sont chargés de gérer les crises, gestion dont la réussite dépend de leur résilience. Comme le montre une étude de cas réalisée par la scientifique italienne Mara Bernadusi sur un projet de promotion de la résilience après le Tsunami au Sri Lanka, cette notion peut devenir un piège : lorsque la population locale se montre simplement vulnérable, elle ne remplit pas les conditions d’un soutien du renforcement de la résilience. Si, en revanche, elle est trop résiliente, elle remplit trop les conditions et n’est plus considérée comme ayant besoin d’aide. « Pour continuer à recevoir de l’aide, les survivants ont dû bien réfléchir à ce que devrait être leur niveau de résilience ».
Pour trouver comment accroître la résistance ou résilience d’une communauté, on utilise des instruments de mesure spéciaux. L’Union européenne, par exemple, a élaboré un marqueur de résilience par lequel non seulement elle mesure la réussite de l’aide, mais définit également le besoin d’aide. L’Agence des États-Unis pour le Développement (USAID) a également conçu des outils qui lui permettent de définir et de mesurer quel niveau de pauvreté peut être toléré, à partir de quand une personne connaît vraiment la faim et à partir de quand la sous-alimentation excède le niveau habituel. Le principe humanitaire selon lequel quiconque est dans le besoin doit être aidé est ainsi fondamentalement remis en question.
La prévention des catastrophes, un nouveau champ d’activité
Le concept de résilience est ainsi également à l’origine d’un changement de paradigme dans le financement humanitaire. Le plan d’action de l’UE pour la résilience dans les pays sujets aux crises mis au point par l’Union Européenne a ici valeur d’exemple. La redéfinition de l’ampleur des besoins humanitaires et, en conséquence, du droit à l’aide permet d’amalgamer au principe transversal de résilience l’éventail entier des programmes de l’UE ayant trait à la prévention des catastrophes, l’adaptation au changement climatique, la protection sociale et la sécurité alimentaire et nutritionnelle et, par conséquent, de réduire les fonds alloués. Parallèlement, l’aide humanitaire s’est de plus en plus ouverte au secteur privé qui a trouvé un nouveau champ d’activité dans la reconstruction. Une étude prouve que la reconstruction a servi de banc d’essai pour la rentabilité des investissements privés après le passage du typhon Yolanda aux Philippines en 2013. Le programme de reconstruction promettait de « reconstruire en mieux ». Toutefois, la situation s’est considérablement détériorée pour de nombreuses familles pauvres alors que des champs d’activité entièrement nouveaux se sont ouverts pour des entreprises privées dans les mines, l’agriculture et le tourisme.
La prédominance du concept de résilience représente un virage néolibéral dans l’aide humanitaire et la coopération au développement. Il importe cependant de ne pas seulement renforcer la « résilience » des populations et communautés qui déjà mobilisent toutes leurs forces de résistance dans leurs tentatives pour survivre aux catastrophes. Les acteurs locaux ont besoin de ressources et d’un soutien pour les aider à faire participer à la gestion des crises ceux qui sont à l’origine de ces crises. Il faut qu’un mouvement se mette en place pour s’opposer à cette évolution problématique et pour défendre des options alternatives à la logique de crises permanentes.