La crise de la corona occupe en ce moment le centre de l’attention. En même temps d’autres crises se poursuivent et sont même en partie aggravées par la pandémie et les mesures qui sont prises pour l’endiguer. Les réfugié(e)s et les émigrant(e)s sont témoins et mesure de ces crises. Pendant quelques semaines les médias attirèrent l’attention sur quelques 12 000 d’entre eux qui vivaient dans la misère sur l’île de Lesbos. La situation sur les îles grecques continue d’être désespérée et ne doit pas être oubliée, cependant cela est aussi valable pour d’autres régions où échouent des gens qui cherchent protection et participation sociale.
De plus en plus souvent leur situation désespérée est le résultat d’accords entre l’Union Européenne d’une part et les pays d’origine ou de transit d’autre part. Les nouvelles mesures européennes sur l’asile et la migration, qui ont été présentées par la commission de l’Union Européenne fin septembre n’y changeront rien.
Les accords de l’Union Européenne avec la Turquie prévoient le paiement de milliards pour que la Turquie empêche les réfugiés de continuer leur voyage en Europe pendant que ceux des îles grecques sont retenus et entreront malgré tout illégalement. Ceci n’est pas le premier marché d’échange conclu aux frais de fugitifs et ce ne sera pas le dernier. Déjà depuis mi- 2006 le processus de Rabat réunit des gouvernements européens de même que des gouvernements du nord, de l’ouest et du centre de l’Afrique pour discuter des problèmes des « Migrationsmanagements ».
Dans le processus de Khartoum initié en 2014 il s’agit de la coopération entre l’Union Européenne et les pays d’origine et de transit du nord et de l’est de l’Afrique pour freiner les mouvements de fuite et de migration par la corne de l’Afrique en direction de l’Europe, ce qui implique une coopération avec des dictatures comme en Érythrée ou au Soudan. Les conséquences pour les droits de l’homme et le développement de la démocratie sont un désastre. Ceci n’est pas en accord avec l’assurance du gouvernement allemand et de l’Union Européenne de vouloir diminuer les raisons de l’exode dans les pays d’origine.
Dans le nouveau pacte d’asile et de migration qui a été promulgué fin septembre, la commission de l’Union Européenne garde cependant cette stratégie. Malgré l’affirmation que le pacte est l’expression d’un « changement de paradigme » dans la coopération avec les pays d’origine et les pays de transit, les projets prévus sont, à bien des égards, similaires à ce qui avait été mis en place il y a des années déjà: coopération renforcée avec des pays tiers concernant l’aide au retour et à la réintégration, concernant la répression du trafic d’êtreshumains et de la migration irrégulière tout comme la création de possibilités légales de migration.
Si on se tourne vers le Mali, en Afrique de l’ouest, où l’Union Européenne avait ouvert déjà en 2008 son premier centre de migration justement dans ce but, on voit qu’on attachera probablement peu d’importance à ce dernier point. Au début il était bien question de créer des possibilités de migration légale mais bientôt il était clair qu’il n’était pas prévu d’aider les migrantes et les migrants dans leur recherche de boulots en Europe. En 2014 on a refermé le centre et cependant le nombre de personnes chassées du Mali soit par la guerre et la violence, soit parce que la crise climatique ou le vol de matières premières qui les privent de leurs moyens d’existence, augmente.
À cela sept années d’intervention militaire européenne avec participation de l’Allemagne n’ont rien changé. Au contraire. Le nombre des groupes armés et des régions concernées s’est multiplié comme le nombre des personnes chassées qui, pour la plupart, cherchent refuge dans le pays même ou dans des pays voisins.
La vie des gens dans le Sahel est pleine d’insécurités. La présence massive de troupes internationales ne contribue pas à ce que cela change et la population doute du bien-fondé de l’engagement. On peut supposer que cela sert moins à la sécurité des autochtones qu’à la protection de l’Europe contre la terreur et les réfugiés indésirables.
La stratégie de la stabilisation d’un statu quo que suit l’Europe jusqu’à présent et qui sert ses propres intérêts mais est par ailleurs douteux, a échoué au plus tard mi-août avec le putsch contre l’ex président Keita. Pendant des mois des protestations de masses contre la corruption, la mauvaise situation économique et les systèmes d’éducation et de santé déficients avaient précédé, ce que l’Europe avait trop longtemps ignoré.
Au Soudan aussi des protestations de masses ont fait tomber un despote qui avait garanti à l’Union Européenne la stabilité sur les questions de conduite et d’empêchement de l’émigration. L’Union Européenne a fermé les yeux sur le mandat d’arrêt pour des crimes commis au Darfour que le tribunal international avait lancé contre Omar al-Bashir qui avait gouverné par la violence pendant des années. Dans le cadre du processus de Khartoum et financé par l’Emergency Trust Fund for Africa de l’Union Européenne, la société allemande de coopération internationale (GIZ) accomplit au Soudan et dans d’autres pays de la corne de l’Afrique le programme « Better Migration Management » (BMM). Sudan Uprising Germany, une organisation d’exilées et d’exilés du Soudan, qui à partir de l’Allemagne soutiennent le mouvement de démocratisation dans leur pays, critique : « La politique de l’Union Européenne, conduite par l’Allemagne est depuis 2015 un facteur clé dans la violation des droits des réfugié(e)s et des migrant(e)s à la corne de l’Afrique. Par la campagne EndJanjaweed, qu’ils ont lancée récemment, ils attirent l’attention sur la complicité de l’Union Européeenne avec les milices Janjaweed que le régime al-Bahir avait engagées et qui avaient commis de graves crimes de guerre au Darfour et dans d’autres régions. Rebaptisées Rapid Support Forces (RSF), elles s’en prennent non seulement maintenant aux réfugiés à la frontière de la Lybie mais on les accuse aussi d’être responsables de la violente répression du mouvement de démocratisation en juillet 2019.
Si l’Allemagne et l’Union Européenne prennent au sérieux la réduction des causes de l’exode, elles doivent soutenir les forces démocratiques dans les pays d’origine comme le Mali et le Soudan et non ceux qui les oppriment. Et si des opposants n’ont pas d’autre possibilité que le chemin de l’exil, les frontières ne doivent pas leur être fermées. Tous les deals, qui ont pour but d’empêcher à tout prix l’exode et l‘immigration en Europe et de faciliter l’expulsion dans des régions de guerre ou de crises sont contraires aux droits de l’homme.
Texte paru pour la première fois le 31 octobre 2020 dans la « Hauptstadtbrief.