Depuis plus de trois décennies, Aida Seif al-Dawla est témoin de tout ce que les institutions publiques peuvent infliger à des personnes, que ce soit physiquement ou mentalement. En 1984, la psychiatre a fondé, au Caire, le Nouveau Centre de recherche sur la femme, qui lutte contre les mutilations génitales et les persécutions faites aux femmes. En 1993, elle s'est associée à trois autres activistes pour fonder le centre El Nadeem pour la réhabilitation des victimes de violence étatique et de torture, qui délivre des services médicaux et psycho-sociaux. Le centre recueille également des témoignages sur des cas de violence et mène des campagnes publiques pour le respect des droits humains. Lorsque le printemps arabe est arrivé au Caire, un espoir de changement a vu le jour dans la population. Mais cet élan est vite retombé. Aida Seif al-Dawla parle de la restauration sous la présidence d'Abd al-Fattah as-Sisi et de la situation actuelle. « C'est pire que jamais. Les anciennes forces sont de retour au pouvoir. »
Aida Seif al-Dawla explique que, sous le joug de l'ancien chef de la police secrète militaire, il n'existe plus aucune limite aux traitements arbitraires dans les prisons. En 2015, elle et ses collègues du centre ont continué à récupérer des informations sur les violations des droits humains. Bouleversants, les témoignages évoquent des centaines de personnes mortes, disparues et torturées. Dans la tourmente de cette nouvelle ancienne Égypte, le centre tente de faire contrepoids, d’être une organisation dirigée à tour de rôle par quatre femmes, un lieu où les victimes peuvent trouver refuge et un centre de plaidoyer qui défend le droit fondamental à l'intégrité de la personne.
Aida Seif al-Dawla a reçu de nombreux prix internationaux pour son travail courageux. Au niveau local, toutefois, l'espace politique diminue de jour en jour, notamment parce que l'UE et les Etats Unis ferment les yeux sur les méfaits du régime tant que celui-ci leur garantit la « stabilité politique ». En 2013, les autorités égyptiennes ont interdit aux ONG nationales d'entrer en contact avec des organisations étrangères sans avoir obtenu l'autorisation préalable des forces de sécurité. Et le couperet définitif est tombé récemment : le ministère de la santé a retiré sa licence à El Nadeem. Le prétexte ? « Travail illégal sur les droits humains », pour la simple raison que les activistes ne se contentaient pas de soigner les blessures mais dénonçaient également publiquement les actes commis.
Aida Seif al-Dawla et ses collègues sont habituées au sabotage et à l'intimidation, mais elles refusent de baisser les bras. Une des choses qui inquiète le plus Aida Seif al-Dawla est la réaction des jeunes qui ont vu leurs espoirs d'une Égypte libre et démocratique réduits en miettes. Elle parle de son fils qui, lui aussi, connait désormais les postes de police et les morgues de l’intérieur. « Il existe un fort sentiment d'amertume. Bon nombre d'entre eux ne pensent plus qu'à partir. » Aida Seif al-Dawla voit les choses différemment : « La révolution n'est pas terminée. Nous avons juste perdu une manche. »
L'Égypte possède un long passé d'alternance politique entre nouvelles aubes et restauration, mais l'esprit du sursaut démocratique continue de vivre grâce à de nombreuses initiatives locales. En 2015, outre le centre El Nadeem, medico a apporté son soutien à l'évaluation du projet de santé urbaine par la Fondation Al Shehab dans le bidonville d'Ezbet El Haggana, au renforcement des droits des réfugiés à la santé par le Centre for Refugee Solidarity et au travail de l'AHED (Association for Health and Environmental Development) et du DSC (Development Support Center) en faveur des comités de santé locaux.