État d'urgence fois deux
Les attaques meurtrières du Hamas ont des répercussions importantes sur nos partenaires en Israël. Avec Guy Shalev, directeur de Physicians for Human Rights, nous avons évoqué la situation et leur travail avec les survivant:es.
medico: Quelle est aujourd’hui la situation à Gaza ?
Chris Whitman : Selon les derniers chiffres publiés vendredi matin, 1 537 personnes ont été tuées par des frappes aériennes et des tirs d'artillerie dans la bande de Gaza, la plupart étant probablement des victimes civiles. L'armée israélienne a imposé un blocus complet sans précédent, coupant l'approvisionnement de la bande de Gaza en électricité, en carburant et en eau. Même les livraisons humanitaires ne sont plus autorisées, pas d'eau, pas de nourriture, pas de médicaments, rien. La seule centrale électrique de la bande de Gaza est tombée à court de carburant mercredi après-midi, si bien que les habitant:es ne seront bientôt plus en mesure de communiquer avec le monde extérieur.
On peut imaginer ce que le blocus implique pour les hôpitaux, notamment les unités de soins intensifs, de chirurgie, de néonatologie. Pour les victimes de bombardements souffrant de blessures par shrapnel, aux membres arrachés, etc., cela signifie qu'elles seront plus nombreuses à succomber à des blessures qui autrement ne seraient pas forcément mortelles. Gaza est l'une des zones les plus densément peuplées au monde, les maladies se propageront donc rapidement alors que le territoire sera bombardé par voie terrestre, aérienne et maritime. Le directeur de l'hôpital Shifa, le plus grand hôpital de Gaza, a déclaré que le carburant pour les générateurs suffirait encore pour deux jours au maximum. Après cela, pour reprendre ses propos, l'hôpital deviendra une morgue.
Comment vont nos partenaires à Gaza ? Comment maintiens-tu le contact avec eux:elles ?
Dès que les raids aériens ont commencé dans la bande de Gaza, j'ai pris contact avec nos partenaires pour m'assurer qu’ils:elles allaient bien. A Gaza, il n'y a pas de lieux sûrs. C'est pourquoi à chaque fois, une question lancinante traverse mon esprit : « et s'ils : si elles ne répondent pas ? ». La première personne à qui j'ai envoyé un message était Bassam Zaqout de notre organisation partenaire, la Palestinian Medical Relief Society (PMRS). Bassam Zaqout est coordinateur de projet et médecin, et nous travaillons avec lui depuis de très nombreuses années, actuellement dans le cadre d'un grand projet financé par le BMZ en faveur d’un centre de traitement des maladies chroniques à Gaza. Notre coopération avec ce centre est généralement axée sur la prise en charge de patient:es souffrant de maladies telles que l'hypertension, le diabète, etc. Durant les guerres précédentes, nous avons également organisé une aide humanitaire à plusieurs reprises.
Avec le temps, Bassam et moi avons tissé un lien aussi bien professionnel que personnel. Après m'être attendu au pire pendant une quinzaine de minutes, j'ai finalement reçu un message en retour : « Je suis chez moi, sous le lit avec ma femme et mes enfants, ils bombardent sans arrêt, c'est très difficile en ce moment ». Hier, il m'a fait savoir que lui et sa famille manquaient d'eau potable et qu'il serait dorénavant extrêmement difficile d'en trouver. Déjà maintenant, ils recyclaient l'eau.
Après que l'armée israélienne a demandé à 1,1 million de Gazaouis - soit environ la moitié de la population totale - de quitter le nord de l'enclave, Bassam et sa famille ont dû abandonner leur logement aujourd'hui. Ils se trouvent désormais 15 à 20 kilomètres plus au sud, dans une sorte de centre de regroupement de l'ONU, mais où aucun approvisionnement n'est disponible pour les milliers de personnes qui s’y sont rendus.
Majeda Al-Saqqa de la Culture and Free Thought Association à Khan Younis, avec laquelle nous coopérons également depuis de nombreuses années, m'a raconté : « Nous alternons entre ma maison et celle de ma sœur, selon l'endroit où les bombardements sont les plus intenses. Nous restons blotti:es à 8 jusqu'à 12 au rez-de-chaussée, dans une pièce, tous ensemble ». Tu sais à quel point Majeda est une femme remarquable, elle, la féministe que l’on voit partout à Gaza avec ses cheveux courts, son sweat à capuche et sa veste en cuir. D'habitude, elle est aussi très drôle, rit beaucoup et bavarde sans cesse. Maintenant, elle donne certes des signes de vie, mais est devenue laconique. « Les bombes secouent constamment le sol », dit-elle, « ils doivent utiliser des bombes plus lourdes que d'habitude ». Elle paie un lourd tribut. Tout le monde à Gaza paie un lourd tribut.
Désormais, que prévoyons-nous de concret ?
Pour l'instant, nous nous occupons d'organiser l'aide humanitaire pour les habitant:es de la bande de Gaza ainsi que le soutien aux victimes civiles en Israël qui ont été évacuées de leurs communautés à la suite de l'attaque du Hamas. La PMRS déploie des ambulances pour prodiguer les premiers soins aux blessé:es et les aider à évacuer vers les hôpitaux. Or, cela est actuellement extrêmement difficile, étant donné que de nombreuses routes ne sont pas praticables : Soit elles sont détruites, soit elles sont bloquées par les débris des bâtiments bombardés. De plus, c'est très, très dangereux. L'armée israélienne a déjà pris pour cible 13 établissements de santé depuis le début de la guerre. Hier, elle a tué dix secouristes du Croissant-Rouge palestinien.
Entre-temps, la PMRS a également pu commencer à exploiter ce que l'on appelle des cliniques éphémères. Bien sûr, en temps de guerre, on donne la priorité à la médecine d'urgence, cela étant, n’oublions pas que les personnes souffrant de maladies chroniques ou d'infections aiguës doivent également bénéficier d'un traitement médical. C'est précisément là que réside la force de la PMRS en tant que prestataire de soins de santé de base. Les frappes aériennes risquent d'interrompre le traitement de milliers de patient:es, qu'ils:elles se trouvent dans la bande de Gaza ou qu'ils:elles doivent effectuer des voyages pour lesquels ils:elles ont une autorisation afin de recevoir des soins médicaux hors du territoire.
Au-delà de la situation humanitaire et du choc, comment nos partenaires en Palestine et en Israël analysent-ils:elles la situation ?
Pour nos partenaires palestinien:nes, il était clair que la réponse israélienne marquerait le début d'une campagne militaire brutale contre l'enclave. Nous savons tous:toutes que cette guerre ne détruira pas le Hamas, et ce n'est d'ailleurs pas l'objectif premier des frappes aériennes massives sur Gaza. Les Palestinien:nes les considèrent comme une expédition punitive extrêmement meurtrière. Ce qui correspond également à ce que les officiels israéliens, y compris le Premier ministre et le porte-parole de l'armée, ont annoncé : Vengeance et destruction. Nous étudions nos possibilités d'envoyer des fournitures médicales d'urgence dans la bande de Gaza. Or, pour l'instant, il n'y a pas d'accès humanitaire. Nous assistons à un crime de guerre. Mais nous voulons être préparés au cas où il y aurait une chance d'acheminer de l'aide à Gaza.
Nos partenaires en Israël ont bien sûr été complètement bouleversé:es par le massacre du Hamas. Ils:elles sont tous:toutes profondément sous le choc. Mais ils:elles ont aussi commencé à agir : Notre organisation partenaire Physicians for Human Rights - Israël fournit des soins médicaux aux personnes évacuées des communautés israéliennes attaquées. Nous les aidons à assurer ces services.
Comment nos partenaires israélien:nes voient-ils:elles la réaction de l'État face aux crimes du Hamas ?
Ils vivent dans un pays où une majorité de la population a élu un gouvernement d'extrême droite. Un gouvernement auquel tous:toutes nos partenaires sont opposé:es. Avant samedi déjà, le sentiment anti-palestinien était extrêmement fort, de même que le rejet de toute activité et tout activisme israéliens contre l’occupation.
Après l'attaque du Hamas contre les communautés israéliennes, qui a fait environ 1 200 morts, des milliers de blessé:es et jusqu'à 150 enlèvements, les appels de nos partenaires à la retenue envers les Palestinien:nes pourraient les éloigner d'une grande partie de leur propre société. Il convient de noter que de nombreuses organisations israéliennes demandent la libération des otages. Elles expriment leur horreur et leur consternation face aux massacres du Hamas, mais demandent à l'opinion publique et au gouvernement de ne pas punir les habitant:es de Gaza pour ces actes. Près de la moitié de la population y est âgée de moins de 16 ans.
L’interview a été réalisée par Riad Othman.