Les troupes internationales ne s'étaient pas encore totalement retirées de Kaboul lorsque les talibans ont pris le pouvoir, investissant le palais présidentiel dans l'après-midi du 15 août 2021, à la suite du départ précipité du président afghan Ghani. Tout simplement terrorisées à l’idée d’une vengeance des talibans, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées sur le tarmac de l’aéroport de Kaboul, risquant leur vie pour tenter de monter dans un avion. En désespoir de cause, certain:es ont fini par s’accrocher aux ailes des avions qui décollent. L’armée allemande a démarré son opération d’évacuation le lendemain avec à bord précisément sept personnes dans des soutes vides et démésurées. Tous les autres avaient pour ainsi dire vu leur sort livré aux talibans.
« Le 15 août est un jour noir dans l’histoire de l’Afghanistan. Le 15 août marque non la chute d’un Etat, mais bien l’anéantissement de l’espoir. » (Shaherzad Kawiani*)
« Aujourd'hui, les talibans ont orné toutes les rues de Kaboul de leurs drapeaux et se réjouissent de leur victoire sur le peuple, mais moi, je ne peux rien faire d'autre que souffrir. » (Rahyab Joya*)
« On va appeler cela la remise du pays aux talibans. En effet, pour les talibans, c’était bien trop facile pour qu’on puisse parler de prise de pouvoir. » (Abdul Ghafoor)
« Je reste sidérée par la rapidité avec laquelle l’espoir pour les Afghan:es a été détruit, et que cela a été si simple. Personnellement, j’ignore où tout cela va me mener. Au début je pensais mettre un à deux ans pour laisser ces événements derrière moi. Du point de vue de la sécurité, je ne me sens plus menacé depuis que je suis en Allemagne, tout en sachant que d’autre part, il me faudra plusieurs décennies pour me remettre de tout ce que j’ai vécu. » (Abdul Ghafoor)
« Lorsqu'ils ont pris Kaboul, beaucoup avaient l'espoir que la communauté internationale interviendrait. Nous, nous n'avions pas cet espoir. Que voulez-vous que nous attendions de ceux qui ont également permis aux talibans de prendre le pouvoir ? » (AVWSM)
Depuis lors, les talibans ont pu consolider leur tyrannie théocratique et étendre leur régime de répression et de contrôle. Alors que la majeure partie de la population crève de faim dans une spirale de crise humanitaire et économique, les membres de l’opposition sont pourchassé:es, les femmes sont victimes d'une répression massive tandis que les minorités sexuelles et ethno-religieuses sont menacées et souvent exécutées. La violence des talibans est indescriptible et le désespoir de la population est incommensurable.
« La condition des minorités, en particulier celle des Hazara, est particulièrement précaire puisqu'ils:elles vivent dans la crainte d'attentats perpétrés par ISIS. Une attaque mortelle a eu lieu il y a à peine quelques jours à Kaboul-Ouest. » (Abdul Ghafoor)
« De nombreuses filles et femmes se suicident sous l'effet d'une profonde dépression, ne pouvant envisager aucun avenir en Afghanistan. » (Abdul Ghafoor)
« Dans la zone du tremblement de terre, le contexte économique est très sombre, en particulier pour les veuves dont les maris ont été tués par les talibans durant la guerre. Sous les talibans, elles n'ont plus le droit de travailler ». (Ghulam Nabi Amini)
« La Mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan et ses organisations affiliées ont permis d’assurer l'aide humanitaire, notamment en surveillant les violations des droits de l'homme commises par les talibans. Néanmoins, cette même aide a également contribué, sans le vouloir, à la capacité des talibans à se maintenir au pouvoir. La présence de ces organisations internationales a renforcé la confiance en soi des talibans et les a encouragés à agir avec encore plus de ferveur ». (AHRDO)
« Depuis août 2021, l'aide américaine à l'Afghanistan a contribué à éviter l'effondrement complet de l'économie afghane sans pouvoir pour autant mettre un terme à l'augmentation spectaculaire de la pauvreté. Au contraire, cette aide est devenue par inadvertance essentielle à la survie des talibans, rendant possible le maintien de leur domination et de leur violence généralisée ». (AHRDO)
« Mais au fur et à mesure que leur pouvoir s'enracinait, ils ont étouffé la résistance, recourant à une brutalité extrême, emprisonnant, torturant, violant et tuant des douzaines de femmes qui protestaient. Cette violence, cette torture et cette oppression étaient dirigées contre toute opposition politique et contre quiconque exprimait la moindre protestation. » (AVWSM)
Les talibans sont ressortis plus forts que jamais des ruines de 20 ans de régime de guerre. Les négociations avec les puissances internationales qui avaient fait de leur démantèlement - au même titre que la destruction de démocratie, des droits de l'homme et de l'égalité des sexes - leur cheval de bataille et qui ont fermé les yeux sur son échec pendant des années dans une torpeur d’arrogance impériale, ont joué un rôle important dans l'avènement de leur règne. L'objectif géopolitique était alors de contenir le péril et le chaos entretenus par Al-Qaida et les talibans en marge de l’ordre mondial capitaliste. Les moyens pour y parvenir étaient l'intervention militaire, le changement de régime et la construction d'un État sous l'hégémonie occidentale et l'occupation continue. L’objectif affirmé était alors d’apporter la liberté et le soutien au peuple afghan. Pourtant, aujourd'hui, il ne reste à ce peuple que l'oppression et un goût très amer de trahison.
« Au fil des trois dernières années, l’Afghanistan a progressivement muté en un territoire explosif qui rappelle le contexte de la fin des années 1990. » (AHRDO)
« Les troupes de l'OTAN ont fait croire qu'elles "allaient sauver les femmes afghanes", en réalité leur intervention était une attaque, un choc pour la population locale, une violence à leur encontre. » (Zahra Mousawi)
« Malgré que divers acteurs nationaux et internationaux aient largement documenté les violations des droits de l'homme, les mécanismes internationaux de justice et de responsabilité ont échoué dans leur mission d'empêcher les talibans de commettre des crimes internationaux ou d'amener leurs membres à rendre des comptes. » (AHRDO)
Le programme allemand d'accueil, une promesse faite à quiconque est aujourd'hui encore gravement menacé:e en raison de son engagement pour la démocratie et les droits de l'homme, en raison de son sexe ou de son orientation sexuelle, a été mis en veilleuse pendant des mois. Au lieu de garantir la sécurité des personnes concernées, ce programme a systématiquement multiplié les obstacles, exacerbé les risques et renforcé l'insécurité pour les parties prenantes . À ce jour, seules 581 personnes ont pu en bénéficier. Soit 581 au lieu des 23 000 accueils possibles. Dans le cadre des négociations actuelles sur le budget fédéral, aucun budget n’a encore été prévu pour poursuivre le programme. Entre-temps, un discours de plus en plus anti-musulman a rendu envisageables les expulsions, même vers l'Afghanistan, et a mis en place des accords de rapatriement correspondants avec le gouvernement des talibans.
« Nous ne nous sommes pas lassés de notre pays, nous n'aimons pas l'Europe. Mais les talibans ont forcé les femmes à se réfugier à l'étranger. Tou:tes les migrant:es quittent leur pays par déchirement et désespoir. Partout dans le monde, les femmes ne sont pas en sécurité ; partout, on constate des discriminations à différents niveaux. Mais les talibans, eux, nous ont enlevé tous nos droits ». (Azada Ozan*)
« L'attente et l'incertitude m'ont fait vieillir de cent ans ». (Aruzohaye Khakestar Shoda*).
« Quand j'ai appris que le programme fédéral d'accueil pourrait prendre fin, cela a été comme me prendre une douche froide en plein hiver. J'ai suffoqué. Si vraiment on en arriverait là, je perdrais tout espoir et ma vie en serait à jamais assombrie ». (Omid Faramosh*).
« Après l'attentat en Allemagne et avec la montée des forces de droite et anti-migrants à la tête des gouvernements occidentaux, nous étions inquiets et avions anticipé cette situation. Les gouvernements ignorent le peuple et continuent à le réprimer. Malheureusement, les forces progressistes de la société afghane sont soit emprisonnées et tuées, soit leurs voix sont étouffées ou achetées par les talibans qui profitent de leur pauvreté ou de leurs contraintes. Tel est désormais notre sort ! » (Rahyab Joya*)
L'échec du fantasme interventionniste occidental à l'aéroport de Kaboul en août 2021 trouve un écho dans la dissolution du droit d'asile et dans une politique anti-migratoire. Ce n'est rien de moins qu'une trahison envers la société civile afghane à laquelle on avait prétendu et promis soutien et protection.
Même dans cette situation qui ne cesse de se dégrader, medico reste aux côtés de nos partenaires qui inlassablement continuent à œuvrer pour les droits de l'homme et à combattre le régime des talibans - tant en Afghanistan qu'en exil. Si les un:es poursuivent leurs efforts de documentation et de traitement des crimes de guerre et des droits de l'homme en Afghanistan depuis leur exil, d'autres luttent en faveur de l'autodétermination et de la dignité face à la domination patriarcale des talibans. D'autres encore assurent sur place une aide humanitaire à des groupes marginalisés menacés par les inondations dues à la crise climatique.
Les noms des personnes marquées d'un astérisque (*) ont été modifiés pour des raisons de sécurité.
Afghanistan Human Rights and Democracy Organization (AHRDO)
Les activistes de l'AHRDO ont travaillé pendant de nombreuses années avec les méthodes du « théâtre de la libération » invitant des personnes de toutes origines ethniques et religieuses à travers le pays à « travailler » sur les expériences de la violence dans leur vie en jouant sur scène. La prise de conscience du fait qu'ils:elles étaient à la fois victimes et auteur:es d'une histoire postcoloniale marquée par la guerre a rassemblé des personnes désireuses de prendre un nouveau départ dans une démocratie. Après le retour des talibans au pouvoir, ils:elles se sont réfugié:es au Canada en passant par le Pakistan. A partir de là, AHRDO documente en permanence la violence subie par la population afghane. L'organisation documente également l'histoire de la violence dans laquelle les Afghan:es doivent vivre depuis des décennies, essentiellement depuis le début des tentatives de colonisation du pays. L'« Afghanistan Memory Home », un musée virtuel, constitue le lieu et le support de ce travail de mémoire et de transmission.
Reza Kar Herat
L'équipe de bénévoles « Reza Kar » se compose de huit personnes (quatre femmes et quatre hommes). Ces femmes elles-mêmes sont pour la plupart sans emploi ou d'anciennes étudiantes qui se voient désormais refuser l'accès à l'université. Immédiatement après le tremblement de terre qui a frappé la province de Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan, en octobre 2023, ces bénévoles se sont regroupé:es pour apporter rapidement une aide humanitaire sur place et à ce jour, sont déjà venu:es en aide à près de 500 familles. Ils:elles jouissent d'un grand respect et d'une grande confiance de la part des sinistré:es, si bien que les talibans s'abstiennent pour l'instant de les attaquer ou de perturber leur travail. Ils:elles sont soutenu:es par Amini, un militant des droits de l'homme et ancien bénévole de notre organisation partenaire de longue date AHRDO, qui vit heureusement à Berlin depuis que la procédure des forces locales a été engagée. Amini fait le lien entre l'aide et les réseaux de la diaspora, collecte des dons et soutient la coordination.
AVWSM (Afghanistan Valorous Women’s Spontaneous Movement)
Le mouvement des femmes combattantes d'Afghanistan est un réseau féministe qui organise d'innombrables actions de protestation depuis la prise de pouvoir des talibans. Dans des espaces sécurisés, elles organisent des cours de couture pour 36 femmes et mettent à disposition des tissus et du matériel de travail. Outre la possibilité de subvenir à leurs besoins, elles créent ainsi des espaces de formation et de discussion commune entre femmes pour sensibiliser sur la situation sociale et les droits fondamentaux et humains. Ensemble, elles se forment sur des thèmes tels que la sécurité numérique, l'anglais et le féminisme. Avec d'autres, elles s'engagent contre la normalisation des relations avec le gouvernement taliban au sein de la communauté internationale.
AWSA (Afghanistan Women’s Studies Academy)
AWSA est une institution de recherche indépendante basée en Allemagne qui se concentre sur le développement d'approches et l’élaboration d’expertise dans le domaine des études de genre en Afghanistan. L'initiative rassemble des militant:es afghan:es des droits de l'homme qui sont en contact direct avec les mouvements de protestation en Afghanistan, notamment ceux qui défendent les droits des femmes. Ils:elles ont eux:elles-mêmes dû quitter le pays après la prise de pouvoir des talibans, ayant été victimes de menaces en raison de leur travail, essentiellement journalistique. AWSA soutient les luttes des femmes et des filles pour l'accès au savoir et à la théorie en Afghanistan. Parallèlement, ils:elles rétablissent une expertise perdue sur le mouvement local des femmes, initié avant même la guerre civile des années 70.
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