LA PAIX AU RABAIS

Comment l’Union européenne renforce les colonies israéliennes

21/03/2013   Temps de lecture: 7 min

La position de l’Union européenne est on ne peut plus claire : les colonies israéliennes dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international, elles constituent un obstacle à l’instauration de la paix et elles risquent de rendre impossible une solution à deux Etat.1 Pourtant, le présent rapport s’attache à montrer la manière dont la politique européenne, dans la pratique, contribue également à soutenir les colonies. Il révèle que l’Union européenne importe quinze fois plus de marchandises en provenance des colonies illégales israéliennes que des Territoires Palestiniens occupés.

Les colonies israéliennes sont des communautés établies sur les territoires occupés par Israël depuis 1967. Aujourd’hui, plus de 500 000 colons israéliens vivent dans différentes régions de la Cisjordanie occupée, y compris à Jérusalem-Est. Les colonies contrôlent plus de 42 % de Cisjordanie et la majorité de ses ressources hydriques et naturelles.2 Leur empiètement quotidien sur le territoire palestinien fragilise la concrétisation de la solution fondée sur la coexistence de deux États prônée par l’Union européenne.

Ces deux dernières années, l’expansion des colonies s’est accélérée, la construction de plus de 16 000 nouveaux logements ayant été annoncée ou approuvée.3 En attendant, les démolitions de structures palestiniennes – y compris celles qui sont financées avec le soutien de fonds de l’Union européenne – se multiplient, et ont ainsi entraîné en 2011 le déplacement de plus d’un millier de personnes, soit près du double du chiffre enregistré en 2010.4 Les deux années passées ont également été marquées par un nombre sans précédent d’attaques violentes de colons à l’encontre de Palestiniens.

Un système discriminatoire à deux vitesses

En instaurant des colonies, les gouvernements israéliens qui se sont succédé ont établi en Cisjordanie un système discriminatoire à deux vitesses, les colons bénéficiant de tous les droits et privilèges attachés à la citoyenneté israélienne, tandis que les Palestiniens sont soumis aux lois militaires israéliennes qui les privent de leurs droits fondamentaux.

Les déplacements des Palestiniens au sein de la Cisjordanie et leur accès aux services de base, notamment aux hôpitaux, continuent d’être entravés par quelque 542 obstacles à la circulation, dont des barrages routiers et des postes de contrôle, malgré un relatif assouplissement ces dernières années.5 En outre, l’accès à l’eau reste extrêmement inégal, Israël étant à l’origine d’une sur-extraction des ressources hydriques de la Cisjordanie, tout en empêchant les Palestiniens de forer de nouveaux puits et de développer leur infrastructure hydrique. Dans certains cas, le pompage des eaux souterraines destinées à l’irrigation des cultures pour l’exportation sur les exploitations agricoles des colonies a entraîné l’assèchement des puits palestiniens situés à proximité, limitant ainsi la capacité des Palestiniens à cultiver leurs propres terres.

Les deux économies de la Cisjordanie

Les agriculteurs et les fabricants des colonies bénéficient de diverses subventions israéliennes et d’un accès simplifié aux marchés internationaux grâce aux routes que le gouvernement israélien a construites pour contourner les zones peuplées par les Palestiniens. Offrant un contraste saisissant, l’économie palestinienne est sévèrement entravée par les restrictions qu’impose Israël à l’accès aux marchés et aux ressources naturelles, dont le coût annuel a été estimé à 5,2 milliards €, soit 85 % du PIB palestinien.6 Conséquence de ces restrictions : les exportations palestiniennes, qui dans les années 1980 représentaient plus de la moitié du PIB palestinien, se montent ces dernières années à moins de 15 % du PIB, réduisant ainsi à néant tout bénéfice qui pourrait être dégagé de l’accord commercial préférentiel que l’UE a conclu avec les Palestiniens.7 Il en résulte une situation où l’Autorité palestinienne est dépendante des sommes importantes que lui octroient l’UE et d’autres donateurs étrangers et qu’elle est aujourd’hui confrontée à une crise fiscale grave.

Les contradictions du commerce de l’Europe avec

les colonies israéliennes

D’après les dernières estimations que le gouvernement israélien a communiquées à la Banque mondiale, le volume des importations de l’UE en provenance des colonies est de 300 millions $ (230 millions €) par an8 ; cela représente environ quinze fois la valeur annuelle des importations de l’UE provenant des Palestiniens.9 Étant donc que plus de quatre millions de Palestiniens et plus de 500 000 colons israéliens vivent dans le territoire occupé, cela signifie que l’UE importe plus de 100 fois plus par colon que par Palestinien.

Parmi les produits des colonies les plus vendus en Europe figurent des produits agricoles tels que les dattes, les agrumes et les herbes, et des produits manufacturés dont des produits cosmétiques, des machines à gazéifier, des plastiques, des produits textiles et des jouets. Bien qu’insistant fermement sur le fait que les colonies ne font pas partie d’Israël, l’Europe accepte que ces produits issus des colonies soient importés avec comme origine déclarée « Israël », consentant ainsi à l’extension de la souveraineté d’Israël sur les territoires occupés. Nombre de ces produits sont également vendus dans des magasins en Europe et étiquetés « Fabriqué en Israël », une mention susceptible d’induire en erreur, et qui prive les consommateurs du droit de prendre des décisions, en connaissance de cause, tel que le prévoit la législation européenne sur la protection des consommateurs en vigueur. Par conséquent, de nombreux consommateurs européens soutiennent à leur insu les colonies et les violations des droits humains qui y sont associées.

Au-delà du commerce des marchandises issues des colonies, certaines sociétés européennes ont investi dans les colonies et les infrastructures connexes ou leur fournissent des services. Parmi ces sociétés figurent G4S (Royaume-Uni/Danemark), Alstom (France), Veolia (France) et Heidelberg Cement (Allemagne). D’autres, comme la Deutsche Bahn (Allemagne), AssaAbloy (Suède) et Unilever (Pays-Bas), ont cessé, ces dernières années, leurs activités en Cisjordanie, montrant ainsi l’exemple que devraient suivre les entreprises qui continuent de traiter dans les colonies.

À ces contradictions au coeur de la politique européenne à l’égard des colonies illégales d’Israël vient s’ajouter le fait que l’UE s’est gardée d’exclure les colonies des avantages conférés par ses programmes de coopération et les accords bilatéraux qu’elle a conclus avec Israël. Dans plusieurs cas, les fonds publics de l’UE destinés à la recherche et au développement ont servi à soutenir directement des activités dans les colonies.10 L’Accord UE-Israël sur l’évaluation de la conformité et l’acceptation des produits industriels (ACAA) illustre également le fait que l’UE s’est abstenue d’insister sur l’établissement d’une distinction catégorique entre Israël proprement dit et les colonies illégales.

La voie à suivre

Les nombreuses relations avec les colonies sont contraires aux obligations auxquelles l’Europe est tenue au titre du droit international, lequel stipule que les tierces parties, dont les gouvernements européens, ont pour devoir de ne pas reconnaître ni prêter une aide ou une assistance aux colonies, ainsi que celui de s’y opposer de manière effective. En pratiquant des activités commerciales avec les colonies et en contribuant à leur permanence, l’UE porte aussi un coup aux nombreuses années qu’elle a investies sur les plans politique et financier pour contribuer à l’instauration d’un État palestinien. Les gouvernements européens sont de plus en plus conscients de la nécessité de rapprocher leurs discours sur les colonies des politiques mises en oeuvre. Les gouvernements britannique et danois ont déjà pris des mesures concrètes en adoptant des directives relatives à l’étiquetage correct des produits issus des colonies. Mais les gouvernements nationaux et l’UE ont encore beaucoup à faire pour s’assurer que leurs politiques ne soutiennent pas directement ou indirectement les colonies et les injustices qui y sont associées.


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