Droits à la santé et crise sanitaire

L’esprit de ’78

26/06/2019   Temps de lecture: 6 min

Il y a quarante ans, l’OMS adoptait la Déclaration révolutionnaire d’Alma Ata. La promesse d’alors, « la santé pour tous », n’a pas été tenue, mais Alma Ata reste le point de référence de medico et des organisations partenaires partout dans le monde.

Anne Jung et Andreas Wulf

On oublie trop souvent les événements les plus im-d’Alma Ata qui fixait les principes et lignes directrices portants et c’est là une partie de ce que l’histoire a de à suivre pour offrir la meilleure santé possible à tous. tragique. Le 12 septembre 1978, trois décennies exac-C’était un programme révolutionnaire qui reconnaissait tement après la création de l’Organisation Mondiale de que la situation sociale (bonnes conditions de vie, de la Santé, les États membres adoptaient la Déclaration travail et de logement, système de protection sociale et de santé publique) était déterminante pour la santé. S’appuyant sur l’idée de redistribution, la Déclaration demandait en fait l’instauration d’un nouvel ordre économique mondial. Elle donnait les grandes lignes d’une utopie visionnaire qui est à la base du travail de medico et de nombreux de nos partenaires, partout dans le monde.

Depuis lors, « la santé pour tous » est le credo d’un concept qui transfère des fonds financiers du petit nombre d’hôpitaux urbains aux programmes communautaires décentralisés ; qui permet aux agents de santé de base de répondre aux besoins les plus urgents de la majorité des personnes en matière de santé ; et qui assure la participation des citoyens à l’élaboration de nouveaux concepts. Les soins de santé primaires sont devenus un concept essentiel pour l’OMS. Les années suivantes, des campagnes d’éducation du public ont été réalisées dans de nombreux pays du Sud, du Guatemala au Zimbabwe et à la Palestine, parallèlement à des programmes de vaccination et de traitement. Il s’agissait souvent aussi decampagnes de lutte contre la pauvreté et de redistribution des richesses sociales.

Dépendance au lieu d’affirmation des droits

Mais les temps ont changé. Aujourd’hui, presque partout dans le monde, les systèmes de santé sont conçus pour servir les intérêts du marché. Des conditions de vie et de travail précaires et, dans bien des pays, potentiellement mortelles, sont le quotidien de millions de personnes. Comment a-t-on pu en arriver là ? Notamment parce qu’une condition clé de « la santé pour tous » définie à Alma Ata n’a jamais été remplie : un changement fondamental des structures économiques mondiales qui aurait permis aux anciens pays colonisés et aux pays maintenus dans la pauvreté de disposer de suffisamment de ressources, de leur propre initiative, pour surmonter la pauvreté générale et offrir des services sociaux de base à leurs populations. Comme ce n’est pas ce qui s’est produit, ces pays sont restés dépendants de la charité dominatrice que constitue l’aide au développement, souvent associée à des prêts. Depuis les années 1990, des organisations capitalistes philanthropiques telles que la Fondation Gates sont également entrées en scène, avec leurs propres programmes et sans égard pour les grands principes de l’OMS. Affaiblie par sa dépendance au pouvoir financier de quelques acteurs gouvernementaux et du secteur privé, l’OMS est devenue de facto un prestataire de services. Il n’est plus question de droits garantis ; calculs d’efficacité et résultats mesurables sont devenus le mantra des experts de la santé. Les établissements de soins déficitaires ont dû combler les pertes en faisant payer les patients, ce qui a eu pour conséquence d’empêcher les plus pauvres, c’est-à-dire ceux qui en ont le plus besoin, d’accéder aux soins. Les résultats sont implacables : chaque année, des millions de personnes meurent de maladies dont ils auraient pu guérir s’ils avaient été soignés. Les maladies liées à la pauvreté, la tuberculose par exemple, réapparaissent et les maladies chroniques telles que le diabète se propagent dans tous les pays du Sud. L’Assemblée Populaire de la Santé – plus importante réunion des militants pour les soins de santé de base venant du monde entier – témoigne de ce que l’esprit de ’ 78 n’a pas complètement disparu. Pour sa quatrième édition , à la fin de 2018, plus de 1 300 personnes venues de plus de 75 pays – majoritairement des pays du Sud – se sont rendues au Bangladesh à l’invitation du Mouvement Populaire pour la Santé pour voir comment les anciennes utopies peuvent être intégrées dans les pratiques politiques actuelles. Par exemple, lors d’un atelier organisé par medico, les partenaires du Zimbabwe, d’Afrique du Sud, des Philippines, du Pakistan, du Bangladesh, du Kenya, du Népal et du Liban ont échangé des informations sur la situation et les difficultés des agents de santé communautaires. Dans leur travail, ces derniers proposent une alternative à une interprétation purement individuelle et biomédicale de la santé. Cela est en soi une raison pour laquelle ils doivent perpétuellement défendre leur importance fondamentale pour la fonctionnalité quotidienne d’un système de soins de santé de base. À une époque de privatisation et de mise en avant de l’efficacité, ils sont constamment exposés au risque d’être exploités en tant que main-d’œuvre occasionnelle bon marché. « Les agents de santé communautaires constituent le lien entre la communauté et le système de soins de santé. À une époque de fragmentation des systèmes de soins de santé, cela est en soi un acte politique, » a déclaré Barbara Kaim de TARSC au Zimbabwe.

Le rôle de l’OMS : défendre et non pas être au service

Lors de l’assemblée générale, de nombreux facteurs politiques contribuant à ruiner la santé ont été abordés, des accords de libre échange aux modèles de développement axés sur les profits, en passant par le désastre climatique. Le fait que les discussions n’ont pas sombré dans un océan de platitudes a été dû aux pratiques politiques directes des personnes présentes, qui informent le public, s’unissent, poursuivent leurs gouvernements en justice, constituent des comités de la santé, font grève et organisent une aide concrète. À long terme, toutefois, ces solutions ne peuvent survivre que si l’OMS est plus qu’une simple agence technique et administrative et retrouve le rôle qui lui est confié dans ses documents fondateurs et la Déclaration d’Alma Ata. En tant que défenseur et responsable de la santé à l’échelle mondiale, elle a une fonction essentielle à assumer en matière de droits humains. Par exemple, la première institution mondiale de la santé ne devrait pas éviter les conflits avec une politique économique qui négocie des règles sur les brevets empêchant l’accès aux médicaments essentiels pour tous. Plus que jamais, c’est à la société civile qu’il incombe de montrer du doigt les manquements de l’OMS, tout en défendant et soutenant sa mission. Les activités de medico international, des organisations partenaires du Mouvement Populaire pour la Santé et de nombreux autres réseaux de soins de santé à l’échelle mondiale ne vise rien de moins que la revitalisation et la poursuite de l’héritage d’Alma Ata.


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