Coronavirus

Une question de bon sens

12/04/2021   Temps de lecture: 5 min

Des défenseurs(ses) de la cause de la santé s‘expriment sur les brevets et les moyens de sortir de la pandémie au niveau mondial. Par Julian Toewe

« Vos gouvernements et les habitants des pays riches doivent comprendre que nous n'avons qu'un avenir commun sur cette planète et que personne n'est en sécurité tant que tout le monde ne l'est pas», déclare René Loewenson dès le début de l'interview. L'épidémiologiste originaire du Zimbabwe dirige Training and Research Support Centre (TARSC), l'organisation partenarie de medico, qui s'occupe notamment de l'éducation en matière de santé entre autres dans le cadre de grands projets miniers. À ses côtés, notre collègue Dieter Müller et moi-même avons interrogé, début mars 2021, cinq autres médecins et activistes de la santé issus du Sud global sur l'impact de la pandémie du Covid 19 dans leur pays et l'influence des droits de propriété intellectuelle sur l'approvisionnement en vaccins et en médicaments.

Dans notre pays, la campagne de vaccination ne progresse peut-être que lentement. Pour la plupart des habitants des pays du Sud, elle reste pour le moment hors de portée. En ce moment même, tout le drame se joue au Brésil où plusieurs provinces, dont Sao Paulo, ont déclaré l’état d’urgence sanitaire et hospitalière. Le taux d'occupation des lits est proche de 100 %, avec des taux d'infection en hausse et les taux de mortalité les plus élevés au monde. La situation peut être attribuée aux politiques de Bolsonaro, mais aussi au fait qu'au Brésil, comme dans de nombreux autres pays du Sud, la capacité nationale de recherche et de production de vaccins a été réduite au cours des dernières décennies. C'est ce que rapportent Delen de la Paz, médecin et coordinateur du Mouvement Populaire pour la Santé (People’s Health Movement, PHM) aux Philippines, et Gabriel García, médecin mexicain qui exerce dans les communautés indigènes de l'État du Chiapas. Les deux pays ont été largement autosuffisants en vaccins jusqu'à la fin des années 1990, exportant parfois des excédents vers les pays voisins. Avec l'avènement du néolibéralisme, leurs propres capacités de production, essentiellement publiques, ont été privatisées ou détruites par la concurrence engendrée par l'ouverture de leurs propres marchés au marché mondial. La dépendance actuelle à l'égard des doses de vaccin provenant de quelques leaders du marché mondial du Nord est donc un effet relativement récent de la mondialisation néolibérale, comme le souligne Delen de la Paz.

L’inégalité comme moteur de la pandémie

Nous interrogeons Leslie London sur les raisons de l'impact désastreux de la pandémie en Afrique du Sud. Le professeur de santé publique et militant du PHM en Afrique du Sud souligne le rôle des inégalités tant dans la société que dans le système de santé. Selon lui, le chômage généralisé et l'emploi informel sont notamment à l'origine du nombre élevé de cas. Très peu de personnes ont la possibilité de recourir au télétravail. Cela étant, l'expérience acquise dans le cadre de la lutte contre le VIH/sida peut être mise à profit dans la pandémie actuelle. Elle porte notamment sur des approches sanitaires participatives faisant intervenir des agents de santé dits communautaires et garantissant un accès gratuit aux médicaments éssentiels. Le développement de capacités de production pharmaceutique propres et l'abolition de la protection des brevets, et ce non seulement pour les vaccins Covid-19, constituent des étapes très importantes pour l'avenir.

Antonio Martins s'étonne du faible niveau de protestation dans le Nord global contre le fait que les entreprises pharmaceutiques ont reçu des fonds publics pour développer des vaccins qu'elles peuvent maintenant vendre cher aux gouvernements respectifs. Dans l'interview, le rédacteur en chef du portail d'information en ligne de gauche et partenaire de medico Outras Palavras critique le concept de propriété intellectuelle. Ce concept permet, en pleine crise sanitaire mondiale, de créer une pénurie de vaccins et de les proposer au prix fort. Par conséquent, la lutte contre la pandémie doit également pousser au renforcement des biens communs et à la création d'un accès libre à la connaissance, à la technologie et à l'éducation dans le monde entier.

À quoi ressemblera le monde après la pandémie? Il est urgent de refaçonner les relations Nord-Sud, déclare Rangarai Machemedze du Zimbabwe. Ce spécialiste des sciences sociales travaille sur la politique mondiale en matière de santé au sein du Réseau Régional pour l’Équité en matière de la Santé en Afrique Orientale et Australe (EQUINET), partenaire de medico, et voit d’un regard critique le pouvoir accordé aux entreprises pharmaceutiques à travers la protection des brevets au sein de l'OMC et de l'OMS. Même si l’offensive des gouvernements d'Afrique du Sud et indien visant à suspendre la protection des brevets au sein de l'OMC est politiquement correcte, dit-il, une exemption ne résout pas le problème fondamental. Ce problème, selon Machemedze, réside dans le fait que le système des brevets place les profits des entreprises au-dessus du droit à la santé à l’échelle mondiale.

Outre la question de l'accès aux vaccins, nos interlocuteurs s'inquiètent des tendances de plus en plus autoritaires observées dans leurs pays. Des violations des droits de l'homme sont systématiquement commises sous couvert de la lutte contre la pandémie. Notamment des régimes autoritaires en profitent pour suspendre les droits fondamentaux et à agir de manière plus répressive. Le gouvernement philippin du président Duterte, par exemple, a adopté une nouvelle loi antiterroriste qui a déclenché une chasse mortelle aux membres de l'opposition, comme le rapporte Delen de la Paz. Elle insiste sur le fait que la lutte émancipatrice pour le droit à la santé doit donc toujours être comprise comme une lutte pour une vie autodéterminée au sens large.


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