Politique répressive contre les réfugiés

« Volontairement ». Vraiment ?

31/08/2018   Temps de lecture: 7 min

Partout dans le monde, les réfugiés et les migrants sont chassés des pays où ils ont cherché refuge. Avec violence directe et dans de nombreux cas, également, dans le cadre de programmes de retour soi-disant « volontaire ». Ramona Lenz.

2017 a été l’année du retour. En Allemagne, en Europe et dans de nombreuses autres régions du monde, le renvoi des personnes dans des lieux qu’elles ont quittés pour se protéger et survivre ailleurs, est devenu l’instrument privilégié de la politique d’asile et de migration. Cet instrument est conforme à la logique des « sociétés d’externalisation » occidentales qui externalisent les conséquences négatives du capitalisme mondialisé, telles que la fuite et la migration forcée. Hors de vue, hors de l’esprit. Pour ne plus avoir à supporter les souffrances du monde directement à leur porte, les sociétés d’externalisation sont allées au-delà de la déportation – violente, si nécessaire – et du refoulement aux frontières. Le soutien du soi-disant retour « volontaire » gagne également du terrain ; il donne l’impression d’être plus humain et que sa mise en œuvre soit plus efficace. Face à cette situation, en Allemagne, des acteurs tels que la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) (L‘Agence Allemande pour la Coopération Internationale) gagnent en importance dans la mesure où ils sont de plus en plus souvent chargés de gérer les retours « volontaires » et la réintégration des réfugiés et des migrants. Le 1er mars 2017, le programme d’aide au retour annoncé par le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Économique et du Développement (BMZ) est entré en vigueur pour aider des personnes sans espoir de se voir accorderl‘asile en Allemagne à organiser leur retour volontaire. Avec l’aide de « scouts pour la réintégration », la GIZ est censée « établir un pont entre les services de conseil au retour, en Allemagne, et la coopération allemande au développement dans les pays d’origine des réfugiés ou des migrants ». Toutefois, dans la réalité, les personnes concernées ont rarement un vrai choix. Souvent, la décision de partir est prise sous le coup du désespoir ou pour prévenir à une menace de déportation avec interdiction de revenir. Le choix des pays avec lesquels et dans lesquels cette politique doit être mise en œuvre dépend essentiellement de l’intérêt de l’Allemagne à se débarrasser du plus grand nombre possible de réfugiés. Deux des principaux pays d’origine, l’Irak et l’Afghanistan, sont parmi les pays cibles pour le retour « volontaire » financé, alors même que la situation, en matière de sécurité, est extrêmement mauvaise dans ces deux pays.

« Soumettre le plus grand nombre possible de ceux que nous considérons comme indésirables à des conditions de vie intolérables, les enfermer dans des camps, les soumettre régulièrement à des coups et violences racistes, leur retirer tous les droits qu’ils ont acquis, les embrouiller et les humilier jusqu’à ce qu’ils n’aient d’autre choix que se déporter eux-mêmes. » C’est ainsi que Achille Mbembe, intellectuel camerounais, décrit notre situation actuelle, qu’il appelle « l’ère du nanoracisme ». La politique d’usure et de pression indirecte qui pousse les gens au point d’accepter leur propre déportation est une expression de cette ère.

 

Mauvaise direction

Interview : Que pense Tejan Lamboi, membre du réseau des anciens demandeurs d’asile en Sierra Leone (NEAS), partenaire de medico, des programmes d’aide au retour ?

Quand une demande d’asile est rejetée en Allemagne, la personne concernée doit quitter l’Allemagne en quelques semaines au risque sinon de se faire expulser de force. Il est prévu à présent de proposer davantage d’offres d’aide au retour volontaire à ces personnes. Est-ce une bonne idée ?

C’est comme un premier pas, fait du mauvais pied, dans la mauvaise direction. Pour les demandeurs d’asile, c’est choisir entre deux maux le moindre. Ces programmes d’aide au retour font fi des différentes raisons qui poussent les gens à quitter leur pays ainsi que des difficultés qu’ils doivent surmonter dans cette fuite. Personne ne fuit son pays d’origine si elle s’ y sent en sécurité, si elle s’y sent protégée et si elle y est heureuse. Des demandeurs d’asile venant d’Afrique de l’Ouest - je peux en parler en connaissance de cause - ont connu de grandes violences dans leur fuite et ont fait des expériences traumatiques. Leur demander de repartir « volontairement » peu après qu’une protection leur a été refusée ne tient pas compte du besoin humain fondamental de sécurité et de tous les combats que ces personnes ont menés pour parvenir à cette sécurité. On les menace d’expulsion tout en leur demandant en même temps si elles ne préfèreraient pas, au lieu de cela, retourner « volontairement » ? Une décision prise sous une telle contrainte n’a plus rien de volontaire. C’est bafouer complètement la dignité et les droits de ces personnes : c’est traiter ces personnes comme des objets. La seule chose qui compte c’est la raison d’État.

On fait davantage le lien entre retour et développement aujourd’hui. Qu’en penses-tu ?

Les programmes d’aide au retour peuvent être utiles à la coopération mutuelle entre deux pays. Mais là aussi il convient d’examiner de plus près le contexte. Si des experts de la Sierra Leone ayant étudié en Angleterre et y ayant fait carrière se décident à revenir dans leur pays d’origine pour contribuer à son développement, je pense qu’il est intéressant pour les deux parties de faciliter leur retour. Quand il s’agit de demandeurs d’asile, la situation est par contre toute autre. Nous parlons ici de personnes qui ont fui leur pays parce qu’elles ont réalisé que leur bien-être et leur sécurité personnelle seraient en danger si elles y restaient plus longtemps.

Que devrait faire la coopération au développement pour aider et soutenir ces personnes ?

Il faut radicalement transformer la coopération au développement. Elle devrait prendre la forme de coopérations garantissant que les pays potentiellement riches comme la Sierra Leone puissent profiter eux-mêmes de leurs richesses, de leurs matières premières, telles que les diamants, la bauxite, l’or etc., et non pas celle de coopérations qui reposent sur l’exploitation et sur des accords commerciaux non équitables et qui, avec le consentement des gouvernements locaux, permettent à des multinationales puissantes issues de pays occidentaux riches de piller les ressources. De ce point de vue, une coopération au développement axée sur le retour et la réintégration des demandeurs d’asile devrait tout faire, à mon avis, pour lutter fondamentalement contre ces rapports de force inégaux.

Les mesures d’aide au retour sont toutes axées sur le marché du travail. Offrent-elles des options de retour réalistes, des perspectives d’avenir sérieuses aux personnes de retour ?

À première vue, ces offres d’aide au retour sont tournées vers l’avenir et le développement : la mise à disposition d’opportunités de formation, d’enseignement technique et d’aide à l’emploi pour les personnes de retour est une très bonne initiative. Je souhaiterais de tout cœur que de telles initiatives soient réalistes et réalisables ! Mais nous parlons ici de pays qui ont été déstabilisés par l’exploitation et les conflits, de pays dans lesquels une grande partie de la population est au chômage. Où ces personnes de retour doivent-elles trouver un emploi après une telle formation ? De toute évidence, cela ne fonctionnera pas pour la majorité d’entre-elles. Peut-être devrions-nous renvoyer chez eux tous les experts européens et donner leurs postes aux personnes voulant retourner chez elles. Ce serait un début, mais cela ne suffirait malheureusement pas.

 


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